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  • Photo du rédacteurCamille Nicolas

Violences d'une vie


Il y a tellement de choses dont je pourrais te parler. Je réfléchis à toutes les formes de violences, verbales, physiques, morales, sexuelles que j’ai pu subir à cause de ma condition de femme. Et énormément de choses me viennent en tête. C’est dur de décider quelle échelle de « violence » vaut le coup d’être écrite. Je vais écrire tout ce à que je trouve dans l’historique de ma vie.

Je suis au collège, en cinquième. Je viens d’avoir Facebook, époque où c’était « cool » d’y avoir pleins d’amis. J’avais donc accepté une fille qui s’appelait Mathilde quelque chose. Elle était venue me parler, et puis au fil de la conversation Mathilde m’avait avoué être, en réalité, un garçon. On discute, et un jour à ma question « tfq ? » il me répond qu’il se touche le phallus. J’ai dû regarder sur internet ce que « phallus » voulait dire, et j’ai vite compris avec les photos de Google image. Je trouve ça violent d’avoir été introduite de cette façon au sexe masculin, et à l’homme inconnu en général. J’ai été plongée dans ce qui peut se passer, quand on demande « tfq ? » à un garçon qu’on ne connait pas sur un réseau social.

Un peu plus tard la même année, je parle brièvement par sms avec un garçon de 3 ans de plus que moi. Il est dans mon collège car il a redoublé et c’est un pote de ma grande sœur. Habitant à coté de chez nous, il vient souvent goûter avec nous, et on passe du temps ensemble tous les trois. Il est super cool et je le considère un peu comme un grand frère, jusqu’au jour où il me demande par sms « Est-ce que tu te doigtes ? ». Je suis super gênée, je me sentais enfant et il était pour moi un adulte, c’était un copain de ma sœur, et en plus le petit-ami d’une fille de ma classe. Je me sentais un peu honteuse aussi. Je trouve ça violent de la part de ce mec, j’ai appris qu’il avait posé la même questions à deux autres filles de cinquième avec qui il parlait. Aujourd’hui je le vois comme un prédateur. Je l’imagine tout content de lui à l’époque. Et ça me dégoûte.

Un an plus tard, je me rapproche d’un garçon, on discute tout le temps, quasiment comme si on était déjà en couple. À sa demande, je lui envoie une photo de mon buste en soutien-gorge, et lui m’envoie une photo de ses abdos « en échange ». Quelques semaines plus tard son meilleur ami me dit dans la cour, alors qu’il y a des personnes autour, « J’ai vu une photo de toi, je m’attendais pas à ça de ta part ». Instantanément, je cours me cacher aux toilettes. Nous ne sommes jamais sortis ensemble, mais par la suite il est sorti avec mes deux meilleures amies en l’espace d’une année. Ce même garçon, l’été suivant m’a dit, alors qu’on était au parc, « Eh mais t’as de la cellulite ! » ; depuis je n’ai plus porté de shorts en présence de « potes » garçons.

Au collège, ma meilleure amie est sorti avec lui ; elle se fait slut-shamer parce que ce dernier a raconté leurs ébats à tout son entourage. Deux ans plus tard, des garçons chuchotent « pute pute pute » quand elle va au tableau.

Ces mêmes garçons, en classe de terminale, font des commentaires sur les fesses des filles quand elles vont au tableau en cours d’anglais. À cause de ça, certaines de mes camarades mettent leur écharpe autour de leur taille pour aller au tableau. Je me souviens de ces cours, pendant lesquels je n’étais tellement pas sereine de peur de devoir me lever devant tout le monde pour écrire sur le tableau. Je ne pensais qu’à ça quand je savais que mon jean ne me faisait pas de belles fesses, ou me faisait des fesses plates. J’ai été interrogée une fois où j’étais dans ce cas, et j’ai eu droit à des commentaires instantanément ; « Elle a des fesses plates » ; chouette environnement pour apprendre.

Je pourrais également te parler de mon histoire avec le harcèlement de rue. Ça a commencé pour moi quand j’avais 13 ans si je me souviens bien. Mais avant même que ça m’arrive, j’avais déjà été quelques fois en compagnie de copines à qui ça arrivait déjà, à 12 ans de recevoir des réflexions sur leur apparence physique, en allant au collège ou en rentrant chez elles le midi. À l’époque je ne percevais pas ça comme du harcèlement, mes copines à qui cela arrivait étaient formées, ce qui n’était pas mon cas ; j’étais une « spaghetti sèche », et c’est pour ça que je les enviais un petit peu d’attirer le regard de ces hommes. En vérité, ça me faisait presque envie, et je voyais que mes amies à qui cela arrivait étaient presque fières de susciter un tel intérêt ; c’était une sorte de validation, ça voulait dire qu’elles étaient, désirables, désirées, « bonnes », acceptées par ces HOMMES. Bref, ça avait l’air « cool », ce harcèlement, uniquement verbal, ces garçons qui faisaient des commentaires sur le physique de mes copines.

Puis, j’ai eu 13 ans, et j’ai eu le droit à des réflexions d’hommes, dans la rue, dans le bus. J’avais toujours pas de formes, j’avais juste plus de libertés ; j’allais au sport toute seule maintenant. À partir de ce moment là, j’ai commencé à être victime du harcèlement de rue. Et puis ça ne s’est plus arrêté, peu importe l’endroit, le moment de la journée, peu importe les saisons et les couches de vêtements que je porte.

Ça peut arriver quand je marche dans la rue : des hommes au volant, sur des motos me crient des phrases sans s’arrêter, ou s’arrêtent à un feu ou au milieu de la route, et essayent de débuter une conversation, d’avoir mon numéro de téléphone, me demandant si j’ai un copain, puis redémarrent. Parfois ils ralentissent, et roulent au rythme de ma marche. Aussi, le mec peut être en train de marcher ; en fonction de l’heure qu’il est j’ai plus ou moins peur.

Au lycée, j’ai commencé à aller en cours en vélo ; c’était plus rapide, plus fun que d’y aller en bus, et je me sentais super libre. Bizarrement, c’était encore pire d’être sur la route que d’être sur le trottoir. Ces hommes qui me alpaguaient, étaient plus près de moi, et je m’arrêtais aux mêmes feux qu’eux. Qu’on soit bien d’accord, il se passait des jours et des jours, parfois des semaines sans rien, mais parfois il m’arrivait de me faire alpaguer 4 fois en une journée. Au bout d’un moment, j’ai commencé à me méfier, à être sur mes gardes, à façonner mon comportement, ma démarche (il faut faire attention à ne pas « rouler le boule » sans s’en rendre compte). C’est fou de presque changer de personnalité quand tu es dans la rue ; je fais attention à ne pas trop sourire, ne pas trop regarder les gens. J’essaye de ne pas croiser le regard des hommes, je ne marche jamais flânant quand je suis seule. Je suis concentrée sur quelque chose qui ne devrait pas demander de la concentration. Je ne devrais pas me soucier d’autre chose que des changements de RER que je dois effectuer pour rentrer chez moi. Mais en étant méfiante, j’analyse les personnes dans les wagons avant de décider où je m’assiérai.

Enfin voilà, pour conclure là-dessus, c’est devenu presque normal en fait, ça fait partie de mon quotidien. Entre copines parfois on vient à en discuter et on fait des « bests-of » des pires techniques d’approches. Mais le truc auquel j’ai pensé récemment, c’est que quand je marche dans la rue, quand je suis dans les transports en communs, ou sur mon vélo pour me déplacer d’un point à un autre, si je pensais jamais, ou moins à tout ça, à la place je pourrais rêver, réfléchir à mes projets, à ce que je veux faire de ma vie, à comment je vais contribuer à rendre ce monde un peu meilleur.


Léana, 19 ans

 

There's so much I could talk to you about. I think about all the forms of violence, verbal, physical, moral, sexual, that I may have suffered because of my condition as a woman. And a lot of things come to mind. It's hard to decide which scale of "violence" is worth writing about. I'm going to write down everything I can find in my life story. I'm in middle school, seventh grade. I just got on Facebook when it was cool to have lots of friends there. So I had accepted a girl named Mathilde something. She came to talk to me, and as the conversation progressed, Mathilde confessed to me that she was, in fact, a boy. We were talking, and one day when I asked him "wyd?" he told me that he touched his phallus. I had to look on the internet to find out what "phallus" meant, and I quickly understood with the pictures from Google image. I find it violent to have been introduced in this way to the male sex, and to the unknown man in general. I've been immersed in what can happen when you ask "wyd?" to a boy you don't know on a social network.

A little later that year, I spoke briefly by sms with a boy 3 years older than me. He is in my college because he has repeated a year and he is a friend of my older sister. Living next door to us, he often comes to have a snack with us, and the three of us spend time together. He's super cool and I consider him a bit like a big brother, until one day he asked me by text messages "Do you finger yourself?". I'm super embarrassed, I felt like a kid and he was an adult to me, he was a friend of my sister's, and also the boyfriend of a girl in my class. I felt a bit ashamed too. I found it violent from this guy, I learned that he had asked the same question to two other girls in the fifth grade with whom he was talking. Now I see him as a predator. I imagine he was pretty happy with himself back then. And it disgusts me. A year later, I'm getting closer to a boy, we talk all the time, almost as if we were already a couple. At his request, I send him a picture of my bust in a bra, and he sends me a picture of his abs "in exchange". A few weeks later his best friend tells me in the yard, while there are people around, "I saw a picture of you, I didn't expect that from you". Instantly, I run to hide in the bathroom. We never went out, but then he went out with my two best friends within a year. That same boy the next summer told me, while we were at the park, "Hey, you have cellulite." I haven't worn shorts in front of boyfriends since. In college, my best friend went out with him; she got a slut-shamer because he told everyone around him about the sex. Two years later, some boys whisper "bitch bitch bitch" when she goes to the board. These same boys in senior class make comments about the girls' buttocks when they go to the blackboard in English class. Because of this, some of my classmates put their scarves around their waists when they go to the blackboard. I remember those classes where I was so nervous about getting up in front of everyone to write on the board. It was all I could think about when I knew my jeans weren't making my butt look good, or making my butt look flat. I was interviewed once where I was in this case, and I got instant feedback ; "She has a flat buttock"; nice environment to learn in. I could also tell you about my history with street harassment. It started for me when I was 13 if I remember correctly. But even before it happened to me, I had already been in the company of a few girlfriends to whom it was already happening a couple of times when I was 12 years old to get reflections on their physical appearance, going to college or coming home for lunch. At the time I didn't perceive it as harassment, my girlfriends to whom it happened were trained, which was not my case; I was a "dry spaghetti", and that's why I envied them a little bit to catch the eye of these men. In truth, I almost envied it, and I could see that my friends who were getting it were almost proud to generate such interest; it was a kind of validation, it meant that they were, desirable, desired, "good", accepted by these MEN. In short, it seemed "cool", this harassment, only verbal, these boys making comments about my girlfriends' looks. Then I turned 13, and I was allowed to hear MEN's thoughts, on the street, on the bus. I still didn't have any shape, I just had more freedom; I used to go to sports by myself now. From that moment on, I started to be a victim of street harassment. And then it didn't stop, no matter where, no matter what time of day, no matter what season, no matter what layers of clothes I wear. It can happen when I'm walking down the street: men behind the wheel, on motorcycles shouting at me without stopping, or stopping at a light or in the middle of the road, trying to start a conversation, getting my phone number, asking me if I have a boyfriend, and then starting again. Sometimes they slow down, and drive to the rhythm of my walk. Also, the guy may be walking; depending on what time it is I am more or less scared. In high school, I started going to class on my bike; it was faster, more fun than going by bus, and I felt super free. Oddly enough, it was even worse being on the road than being on the sidewalk. These men who were climbing me were closer to me, and I stopped at the same traffic lights as them. Let's face it, there were days and days, sometimes weeks without anything, but sometimes I was alpacated 4 times in one day. After a while, I started to be wary, to be on my guard, to shape my behavior, my gait (you have to be careful not to "roll the ball" without realizing it). It's crazy to almost change your personality when you're on the street; I'm careful not to smile too much, not to look at people too much. I try not to cross men's gaze, I never walk loitering when I'm alone. I'm focused on something that shouldn't require concentration. I shouldn't worry about anything other than the subway changes I have to make to get home. But being wary, I analyze the people in the cars before deciding where I will sit. Anyway, to conclude on this, it has become almost normal in fact, it's part of my daily life. Sometimes we discuss it among friends and we make "bests-of" of the worst approach techniques. But the thing I've been thinking about lately is that when I'm walking down the street, when I'm on public transport, or on my bike to get from one point to another, if I ever thought about it, or at least about all that, instead I could dream, think about my projects, think about what I want to do with my life, think about how I'm going to contribute to make this world a little bit better.


Léana, 19 years old





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